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Égypte : la contestation étudiante, cible de la répression

Publié le par Celine Lebrun

Le président égyptien Sissi est actuellement en tournée en Europe. Il sera de passage à Paris ce mardi. Les autorités françaises le questionneront-ils sur la vague de répression qui a accompagné et suivi son accession au pouvoir ? Depuis la chute de Mohamed Morsi et, a fortiori, l’élection du Maréchal Sissi, l’Égypte est en effet le théâtre d’un retour en force de l’ancien régime, en premier lieu de l’armée. Ce retour au premier plan de la principale force contre-révolutionnaire signifie-t-il pour autant une interruption définitive de la contestation politique et sociale en Égypte ? Rien n’est moins sûr… Quand bien même l’opposition au régime serait moins visible que durant les années 2011-2013, il serait hâtif de conclure que l’armée aurait réussi à neutraliser la contestation et à stabiliser le pays. En témoigne le fait que les autorités sont contraintes d’étendre, encore et toujours, les dispositifs répressifs, qui ne suffisent toujours pas à juguler les oppositions, et qui tendent même à générer de nouvelles mobilisations : c’est notamment le cas dans les Universités.

Dans un précédent article répertoriant les diverses formes de répression ayant marqué l'année suivant la destitution de Morsi, j'avais évoqué les événements survenus dans les universités égyptiennes et la répression dont elles avaient été le théâtre. Cependant, la reprise de l'année scolaire, et universitaire, il y a un mois et les nouveaux développements qui l'ont accompagné m'ont semblé mériter qu'on s'y attarde à nouveau. Le 12 octobre 2014, date de la rentrée universitaire, marquait en effet la reprise de la bataille déclenchée sur les campus un an auparavant, suite à la tenue de manifestations pacifiques par les étudiants, réunis notammant au sein d'un mouvement appelé « les étudiants contre le Coup d'Etat » réclamant le retour du président déchu Mohamed Morsi. Face aux risques encourus dorénavant dans la rue, ils avaient pensé pouvoir compter sur les universités, espace historique de contestation en Égypte, pour s'exprimer et se faire entendre.

Une rentrée sous haute surveillance

La date du 12 octobre 2014 avait été fixée, après avoir été repoussée de plusieurs semaines par le gouvernement, invoquant la rénovation des infrastructures et la mise en place d'un dispositif devant garantir « la sécurité des étudiants ». Et quel dispositif ! Ces quelques semaines de délai auront en réalité permis l'organisation de la répression massive du mouvement étudiant égyptien avec des exclusions définitives prononcées de manière tout à fait arbitraire, sans aucune procédure disciplinaire, à l'encontre des leaders du mouvement syndical et associatif étudiant, à l'image d'Ahmed Mostafa Abuzeid, ancien président de l'Union étudiante de l'Université Britannique d'Egypte (UBE), exclu dès le 2 octobre après avoir collecté près de 2 600 signatures d'étudiants demandant à écrire leur propre règlement. Certains étudiants expliquent quant à eux avoir été expulsés pour des propos tenus en ligne, sur leurs comptes sociaux privés. Dans une interview télévisée récente, Mahmoud Saad, président de l'UBE avait déclarée : « les étudiants pensent que les réseaux sociaux sont sûrs, mais ils ne le sont pas ». Ce sont finalement 32 étudiants qui auront été temporairement suspendus ou expulsés définitivement par la présidence de l'UBE.

Bien qu'étant une université privée, l'UBE a ainsi décidé d'appliquer la nouvelle norme en vigueur dans les universités publiques interdisant sur le campus tout groupe, activité ou propos politique et les étudiants ou personnels contrevenants. Dorénavant en effet, ce ne sont plus seulement les étudiants qui sont sommés de se mettre au pas mais tout le personnel. Début octobre, les autorités ont approuvé un nouvel amendement de « régulation du personnel des universités » : « Si la loi 49.1972 qui régit les activités des universités reste en grande partie inchangée, cette modification prévoit l’ajout d’un paragraphe qui stipule que les chefs d’universités sont autorisés à "expulser quelconque membre de l’administration ou du personnel, sans décision de justice préalable et sans charge définie". »[1] (Depuis juin, ces chefs d’université sont directement nommés par le président.) A l'occasion de la rentrée, Al Sayed Abdul Khaliq, ministre de l'Enseignement supérieur égyptien promettait ainsi d'expulser immédiatement « tout étudiant ou membre du corps professoral ayant pris part à une manifestation ».

Samedi 1er novembre, un professeur était détenu plusieurs heures par la police alors qu'il participait avec ses étudiants, à un événement de charité destiné à promouvoir le bénévolat. En cause : le T-shirt porté par les étudiants figurant des mains d'enfants colorées, dont une de couleur jaune. La police a déclaré qu'il s'agissait-là de la main de Rabaa, symbole de soutien ou d'hommage aux centaines de supporters de Mohamed Morsi réunis sur la place de Rabaa el Adaweya à l'été 2013 pour protester contre sa destitution et tués par la police et l'armée lors de la dispersion violente du sit-in. Le signe est considéré par les forces de sécurité égyptiennes comme une incitation contre l'armée et la police.[2] Une étudiante était condamnée à deux ans de prison en février parce qu'elle portait une broche Rabaa sur son voile. Récemment un étudiant était arrêté pour avoir en sa possession un ours en peluche Rabaa. L'année dernière, un élève de 15 ans était quant à lui dénoncé pour une règle Rabaa par son professeur avant d'être arrêté et condamné à 15 jours de détention, en violation du droit pénal et du droit de l'enfant.[3]
 Égypte : la contestation étudiante, cible de la répression

Accompagnant cette campagne d'expulsions menée par les directions d'université, la police aura arrêté plus d'une centaine d'étudiants, notamment au cours de raids nocturnes à leur domicile, en l'espace des deux jours seulement précédents la rentrée, grossissant ainsi le nombre estimé à près de mille, des étudiants toujours détenus depuis près d'un an. Enfin, dans le cadre d'une collaboration renforcée entre les directions d'universités et les forces de sécurités, les milliers d'étudiants souhaitant bénéficier d'une chambre universitaire ont dû se soumettre à des tests anti-drogues et ont vu leur dossier passé en revue par le Ministère de l'Intérieur.

Les universités pouvaient alors ouvrir leur porte mais sous haute surveillance : alors que l'on se plaint en France des contrôles de "sécurité" menés par quelques vigiles à l'entrée des facs (et on a raison), ce sont forces de sécurité et entreprises de sécurité privées qui étaient au rendez-vous accueillant les étudiants avec détecteurs de métaux, caméras et fouilles systématiques. (ici, photos prises à l'une des entrées de l'université du Caire, le 12 octobre 2014.)

 Égypte : la contestation étudiante, cible de la répression
 Égypte : la contestation étudiante, cible de la répression

Affrontements et sanctions contre les étudiants

Face à un tel dispositif indiquant la poursuite et l'intensification de l'approche sécuritaire et répressive qui est celle du gouvernement depuis plus d'un an, les affrontements reprirent instantanément, dans plusieurs universités du pays et firent leur première victime, le 21 octobre. Ce jour-là, Omar Shérif, étudiant à l'université d'Alexandrie, est décédé de ses blessures après avoir été atteint quelques jours auparavant à la tête et au cou par des tirs de grenaille alors que le président de l'Université avait fait appel à la police pour réprimer une manifestation étudiante se déroulant à la faculté d’Ingénierie demandant la libération de leur collègues arrêtés depuis le début de l'année. Suite à ces affrontements, cinq étudiants furent expulsés et 11 convoqués pour interrogatoire. Un second étudiant mourrait la semaine dernière dans sa cellule alors qu'il était détenu pour avoir manifesté. Les circonstances de sa mort demeurent encore inexpliquées; quant aux policiers impliqués dans la mort d'Omar Shérif, aucune procédure disciplinaire n'a été entreprise à leur encontre. Ces morts font écho à celle d'une quinzaine d'autres étudiants, tués au cours de l'année dernière dans des circonstances toujours similaires.

Jusqu'à aujourd'hui : aucun policier n'a été condamné pour meurtre et pas un seul officier de police ou de l'armée n'a été tenu responsable pour l'usage répété de violence excessive et autres abus commis par ces institutions depuis juillet 2013. Pire, un officier condamné en 2009 à 5 ans de prison pour torture après avoir fracassé le crâne d'un citoyen, et libéré début 2014, s’est vu offrir le pèlerinage à la Mecque aux frais de l’État, et promouvoir, par le Ministère de l'Intérieur… responsable des droits humains à la direction de la sécurité d'Alexandrie !

Début novembre, la police conduisait une nouvelle vague de répression blessant et arrêtant plusieurs étudiants alors que ceux-ci organisaient ici et là des manifestations en soutien aux habitants du Sinaï déplacés de force par l'armée égyptienne dans une opération punitive de grande envergure destinée à « nettoyer le Sinaï de ces éléments terroristes » suite à une attaque ayant causé la mort de dizaines de soldats. Tout au long de l'année dernière, le Sinaï et les universités représentaient déjà les deux derniers espaces d'opposition visible au régime militaire.

Le 19 novembre, à l'occasion de la 3e commémoration des événements de la rue Mohamed Mahmoud[4], la police attaquait une manifestation de jeunes filles à l'Université d'Al-Azhar battant et arrêtant des dizaines d'étudiantes alors que la présidence expulsait arbitrairement 23 étudiants et en suspendait 61 autres.[5]

Depuis le début de l'année, la police a envahi plus d'une dizaine d’universités et arrêté plus de 315 étudiants, en dépit des déclarations du Premier Ministre Ibrahim Mahlab affirmant que la police n'entrerait pas dans l'enceinte des universités[6]. Les directions d'universités quant à elles, y compris celles qui avaient pu condamner, l'année dernière, les "attaques directes" des forces de sécurité, semblent bel et bien avoir démissionné face aux troubles survenant sur les campus, et accepter le recours à la force, que ce soit au moyen de procédures d'exclusions arbitraires, des arrestations massives et des lourdes peines prononcées compromettant à jamais l'avenir universitaire des étudiants condamnés, montrant leur soutien à la répression engagée à l'encontre des étudiants et de toute autre voix dissidente.

Hier, dimanche 23 novembre, une cour d'appel a confirmé la condamnation à 5 ans de prison pour une centaine d'étudiants d'Al Azhar accusés d'avoir participé à une manifestation illégale, d'avoir attaqué les forces de sécurité et d'appartenir à une organisation terroriste, ie les Frères Musulmans.

L'Association pour la Liberté de Pensée et d'Expression avait dénoncé dès l'année dernière les violations des droits et libertés des étudiants et la violation de l'indépendance des Universités qui avait commencé en septembre 2013 avec une première tentative d'intervention sécuritaire dans les universités avant que le gouvernement autorise finalement en novembre la police et les forces armées à entrer sur les campus sans la permission préalable de leurs présidents, pour empêcher les manifestations et « protéger » les étudiants. En février 2014, un tribunal décidait de rattacher de nouveau la sécurité sur les campus au Ministère de l'Intérieur, allant pourtant à l'encontre d'une décision de justice émise par une Cour supérieure en 2010 bannissant la police des campus. Enfin, le 25 juin dernier, en plein milieu des vacances scolaires, Sissi, élu président entre temps, publiait un décret mettant fin à l'élection des présidents d'université, un des acquis de la Révolution, ceux-ci étant désormais nommés par le président lui-même, marquant un nouveau retour à l'ère Moubarak. Ce décret, en contradiction avec l'article 21 de la nouvelle constitution exigeant que l'indépendance des universités soit garantie, représentait une nouvelle phase dans la tentative de reprise en main des espaces publics contestés que sont les universités et montrait la défiance du pouvoir envers l'élite intellectuelle du pays. Suite à l'attaque terroriste dans le Sinaï, un nouveau décret présidentiel autorise depuis le 27 octobre l'armée à assister la police dans la protection des installations et institutions publiques, universités comprises. Ayant vigueur de loi, Sissi détenant les pouvoirs législatifs en l'absence de parlement, ce décret, en vigueur pour deux ans, stipule également que ceux qui attaqueraient ou endommageraient ces installations civiles, désormais considérées au même rang que les installations militaires, sont susceptibles d'être jugés par un tribunal militaire. Ce décret, qualifié d'inconstitutionnel par de nombreuses ONG, la nouvelle constitution limitant dans son article 204 la juridiction des tribunaux militaires aux « assauts directs » contre des bâtiments, installations, zones militaires ou frontalières, signifie donc que désormais des élèves ou étudiants, accusés de « saboter » des installations éducatives ou encore d'entraver la voie publique, pourront être jugés par des tribunaux militaires.

La répression consécutive à la publication de ce décret ne s'est pas fait attendre, dès le lendemain (28 octobre) c'est l'armée qui, accompagnée de la police, pénétrait cette fois dans l'université de Mansoura et réprimait une manifestation demandant la libération des étudiants arrêtés. Mohamed El Kenawy, le président de l'université avait déclaré quelques semaines auparavant au cours d'une émission télévisée que « la police répondrait à tout rassemblement de manière décisive, plus importante que n'importe qui peut imaginer » ou encore « ne me parlez pas de la liberté d'expression! ».

Campagne contre la répression

Égal à lui-même, le nouveau gouvernement égyptien montre sa crainte de tout mouvement autonome et organisé de la jeunesse, du mouvement étudiant aux jeunes groupes de supporters ultras ; et semble définitivement avoir fait le choix de la répression sur celui de l'amélioration des conditions nécessaires à l'épanouissement et à l'émancipation de ses élèves et étudiants et plus généralement de sa jeunesse, alors que les ONG ont dénoncé l'état général catastrophique de l'éducation dans un rapport rendu publique à l'occasion de la session annuelle du conseil de l'ONU pour les droits humains sur la situation en Egypte.

Malgré cela, les étudiants qui luttent aujourd'hui pour leurs droits et ceux de leurs collègues arrêtées ou expulsés, semblent déterminés à continuer de défier le statu quo. D'autre part, la répression qui s'abat indistinctement, a conduit nombre d'entre eux à se montrer solidaires, au delà des orientations et des clivages politiques. Hazem Hosny, un professeur de science politique à l'Université du Caire, expliquait ainsi que selon lui « une nouvelle opposition est en train de voir le jour, même si elle ne s'est pas encore tout à fait cristallisée. […] Cette opposition se tient principalement en dehors des partis traditionnels et est constituée de jeunes instruits et avant-gardistes qui comprennent ce qui est en train de se passer autour d'eux. »[7]

Les étudiants égyptiens ne sont pas les seuls et ne seront pas les derniers à faire face à la répression. De Saint-Denis à Londres, en passant par Belgrade et Athènes, les étudiants en révolte face aux augmentations des droits d'inscription ou pour la garantie de leur droit à l'éducation, font face aux politiques ultra-libérales, sécuritaires et répressives de leur gouvernment. Dans le sud du Mexique, 43 étudiants sont toujours portés disparus depuis plusieurs semaines suite à des affrontements avec les autorités corrompues qui les auraient livrés à la mafia locale, laquelle les a probablement assassinés, bien que les corps restent introuvables. Cependant, et à l'inverse de ce qui se passe au Mexique, où le cas de ces étudiants bouleverse depuis des semaines l'ensemble du pays et entraîne des mobilisations multisectorielles pour demander le retour de ces étudiants et que les coupables soient jugés, il semble que le sort de leur jeunesse ne mobilise guère les Egyptiens.

__________________

[1] http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20141003123325/

[2] http://english.ahram.org.eg/NewsContent/1/64/114538/Egypt/Politics-/Cairo-Uni-professor-briefly-detained-over-Rabaa-ts.aspx

[3] http://egyptianchronicles.blogspot.com/2014/11/welcome-to-real-life-1984.html?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+EgyptianChronicles+%28Egyptian+chronicles%29

[4] La rue Mohamed Mahmoud, qui part de la place Tahrir et passe près du ministère de l'Intérieur, a vu se dérouler, du 19 au 23 novembre 2011, 4 jours d'affrontements entre des manifestants et les forces de sécurité après que celles-ci eurent attaqué un sit-in auquel participaient notamment les familles des personnes tombées pendant les événements de janvier 2011 et demandant que le SCAF laisse le pouvoir à une autorité civile. Ces quatre jours d'affrontements ont fait 47 morts et des centaines de blessés.

[5] http://www.dailynewsegypt.com/2014/11/23/court-sentences-100-al-azhar-students-5-years-prison/

[6] Voir les rapports hebdomadaires et l'important travail de recensement produits par l'Association pour la Liberté de Pensée et d'Expression pour documenter ce nombre qui augmentent de jour en jour. ainsi que le nombre des étudiants expulsés ou suspendus.

[7] http://www.dw.de/egypts-universities-the-last-bastion-of-the-opposition/a-18035619

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